22h47. Votre téléphone vibre. Encore un mail "urgent". Un dossier à finaliser pour demain matin. Situation familière ? Vous n'êtes pas les seul.e.s : plus de 60% des salariés français éprouvent des difficultés à déconnecter. Et le problème est particulièrement aigu chez les cadres, dont une majorité appelle à un renforcement du droit à la déconnexion. Et si on parlait vraiment de ce fameux "droit à la déconnexion" ?
De sa définition concrète aux solutions testées et approuvées, en passant par les vrais enjeux et les entreprises qui montrent l'exemple, on fait le point.
1. Le droit à la déconnexion, un cadre juridique défini.
En 2016, la France devenait pionnière en inscrivant le droit à la déconnexion dans son Code du travail. L'article L2242-17 le définit comme "le droit pour tout salarié de ne pas être connecté à un outil numérique professionnel en dehors de son temps de travail". Une avancée majeure avec un objectif clair : protéger notre équilibre de vie.
Concrètement, ce droit vise à "assurer le respect des temps de repos et de congés ainsi que la vie personnelle et familiale". Plus qu'une simple recommandation, c'est une obligation légale pour les entreprises de plus de 50 salariés. Elles doivent négocier avec leurs employés les modalités de cette déconnexion ou, à défaut, établir une charte.
Mais près de 10 ans après sa mise en place, où en sommes-nous vraiment ?
2. Etat des lieux en 2025 : où en est-on ?
Regardons les chiffres de plus près. Le dernier baromètre Empreinte Humaine-OpinionWay de 2025 nous donne un aperçu intéressant de la situation : 48% des salariés français déclarent vivre des moments de détresse psychologique, tandis que 61% d'entre eux évoquent un stress professionnel hebdomadaire. Ces données nous invitent à réfléchir sur nos pratiques numériques au travail.
Le volume des communications professionnelles illustre bien cette intensification numérique : la DARES révèle qu'un salarié traite en moyenne 117 emails et 153 messages instantanés par jour. Une routine qui modifie nos habitudes : 40% des employés commencent déjà à consulter leurs emails avant 6 heures du matin. Les cadres sont particulièrement concernés par cette évolution : une étude établit que près de 60% d'entre eux souhaitent voir le droit à la déconnexion renforcé, suggérant que les dispositifs actuels méritent d'être repensés.
Le télétravail, qui concerne aujourd'hui 26% des salariés, a également transformé notre rapport au bureau. En fusionnant espaces professionnels et personnels, il nous invite à redéfinir nos limites. L'augmentation des visioconférences (+45% depuis 2020) et les nouveaux modes de collaboration ont créé de nouvelles dynamiques : 20% des télétravailleurs cherchent encore leur équilibre entre connexion et déconnexion.
Ces évolutions ont des effets concrets sur notre quotidien : 48% des salariés en situation d'hyper connexion notent des changements dans leur qualité de sommeil, et les interruptions numériques occupent en moyenne trois heures de notre journée. Un constat qui nous pousse à repenser notre utilisation des outils numériques pour gagner en efficacité tout en préservant notre bien-être.
*Selon l'Observatoire de la Santé au Travail
3. Ce qui bloque (vraiment) : la culture du travail
La difficulté à décrocher trouve ses racines profondément ancrées dans nos organisations. Au premier rang, la culture du "toujours disponible" continue de sévir. Cette croyance tenace associe la réactivité permanente à la performance, créant une pression invisible mais constante sur les collaborateurs. La peur d'être perçu comme moins investi que ses collègues pousse à maintenir une présence numérique quasi permanente.
Le management joue un rôle ambivalent dans cette situation. Celui d'accompagner la transformation numérique tout en préservant l'équilibre des équipes. Si certains cadres peuvent parfois envoyer des signaux mixtes en matière de déconnexion, c'est souvent par manque de cadre établi plutôt que par volonté délibérée. La multiplication des canaux de communication et l'intensité des échanges numériques créent un environnement complexe qu'il faut apprendre à orchestrer. Les réunions qui s'enchaînent et les deadlines qui se superposent sont autant de situations qui appellent une réflexion collective sur nos modes de fonctionnement.
4. Ces entreprises qui ont franchi le pas
De plus en plus d'organisations transforment le droit à la déconnexion en actions concrètes. Leurs initiatives, diverses et créatives, montrent qu'il existe de nombreuses façons d'aborder le sujet. Tour d'horizon des solutions qui font leurs preuves.
Les journées sans e-mail chez Rakuten
Depuis 2015, le géant du e-commerce organise une demi-journée mensuelle sans emails. L'objectif ? Encourager les échanges directs entre collègues et repenser la pertinence de chaque communication. Cette initiative a permis de réduire significativement le volume d'emails tout en améliorant la qualité des interactions. Les collaborateurs sont encouragés à privilégier les conversations en face-à-face pour les sujets qui s'y prêtent, créant ainsi une dynamique d'équipe plus humaine.
Le "quiet time" chez Orange
L'opérateur télécom a instauré un concept innovant : le "quiet time". Concrètement, les collaborateurs bénéficient de deux heures quotidiennes pendant lesquelles les outils de communication digitaux sont mis en pause. Cette période sanctuarisée permet de se concentrer pleinement sur les dossiers qui nécessitent une attention particulière, sans être interrompus par le flux constant des communications numériques. Une approche similaire a été adoptée par l'APEC, démontrant la pertinence de ce modèle.
Le blocage des serveurs chez Volkswagen
Le constructeur automobile allemand a fait figure de pionnier dès 2011 avec une mesure audacieuse : le blocage de l'accès aux serveurs de messagerie pour plus de 1000 salariés entre 18h15 et 7h00. Cette approche radicale mais efficace envoie un message sans équivoque : en dehors des heures de bureau, la déconnexion n'est pas une option, c'est la règle. Plus de risque de repartir avec du travail sous le bras !
L'opération "Mail on Holiday" chez Daimler
Lancée en 2014, cette initiative du groupe allemand propose une solution élégante au problème des emails pendant les congés. Le principe est simple mais révolutionnaire : les emails reçus durant les vacances des salariés sont automatiquement effacés. L'expéditeur reçoit une réponse l'informant de la situation et lui indiquant un contact alternatif pour les urgences. Résultat ? Plus de stress lié à l'accumulation de messages pendant les congés, et un retour au travail plus serein.
Les matinées déconnectées chez Intel
Le géant de la technologie a mis en place une expérience originale auprès de 300 de ses salariés : la déconnexion totale (messagerie et téléphone) tous les mardis matins. Cette initiative permet aux équipes de se concentrer sur les tâches complexes nécessitant une attention soutenue. Les premiers retours montrent une amélioration significative de la productivité et de la qualité du travail produit pendant ces plages horaires sanctuarisées.
Les espaces de déconnexion physique
De plus en plus d'entreprises aménagent des espaces dédiés à la déconnexion au sein même de leurs locaux. Ces "bulles" de décompression, totalement dépourvues d'écrans et d'outils numériques, permettent aux collaborateurs de faire de vraies pauses pendant leur journée de travail. Certaines entreprises vont plus loin en créant de véritables espaces de sieste, reconnaissant ainsi l'importance de ces moments de déconnexion totale pour maintenir performance et bien-être au travail.
5. Débrancher pour mieux redémarrer
Face à ces nombreuses initiatives et retours d'expérience, une chose est claire : la déconnexion n'est pas qu'une obligation légale ou une mode passagère. C'est un enjeu de santé publique, de performance durable et, osons le dire, de société.
Les entreprises qui l'ont compris ne se contentent pas de mesures cosmétiques. Elles misent sur un triptyque gagnant : un cadre clair, des managers exemplaires et un accompagnement continu des équipes. Car la performance ne se mesure pas à notre temps de connexion, mais à notre capacité à préserver notre énergie et notre créativité.
La vraie question n'est plus "peut-on se permettre de déconnecter ?" mais "peut-on se permettre de ne pas le faire ?" À l'heure où le numérique redessine nos vies professionnelles, c'est à nous de décider collectivement quel travail nous voulons pour demain.
Et vous, quand décidez-vous d'éteindre ?
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